Nous nous trouvons à Esmeralde, dans une des carrioles du cirque se trouvant aux portes de la ville. Le petit humain dort paisiblement, rêvant sans nul doute de son évasion hors de cette ville entourée de sable. Un filet de bave coule le long de sa joue. Il se retourne et agite un bras comme pour chasser une mouche invisible venant l'ennuyer dans son profond repos.
Je vais vous raconter une histoire. L'histoire de cet empoté de gamin qui dort pour la première fois depuis déjà quelques jours. Bien sûr, pour tenir, il a réalisé quelques siestes de quelques minutes par-ci, par-là mais je parle bien d'un sommeil véritable. Et croyez moi, je m'y connais en vérité. Voici donc l'histoire de Solan, l'enfant esclave qui rêvait de devenir mage...
Esmeralde, douze ans plus tôt.C'était un jour normal à Esmeralde, où le soleil pesait fortement sur les habitants de la ville. Les gens allaient et venaient dans toute la ville, une véritable errance humaine. Certains, plus riches, se pressaient pour entrer dans le Kalédioscope, le bâtiment le plus batifolent de cette ville ensablée. Tous les gens compris en cet endroit s'amusaient aux quatre coins du palace des vices et des plaisirs. Tous? Non... Une petite femme du nom de Kalim souffrait seule, silencieuse. Son maître l'avait installée dans une petite pièce sombre, à l'abri des regards étrangers. Elle avait, neuf mois plus tôt, fait l'erreur la plus grossière de sa carrière. Elle qui était une des préférée du harem de son seigneur.
Celui-ci avait, ce jour-là, un immense marché à conclure avec un des plus grands hommes d'un pays avoisinant. Afin d'obtenir ses faveurs et ce commerce peu légal, il avait envoyée Kalim le séduire. Elle accomplit sa mission à merveille laissant l'homme assouvir ses plus grands rêves avec son frêle corps.
Ne blâmez pas Kalim, son métier, elle ne l'avait pas choisis. Son père l'avait cédée à l'homme le plus puissant d'Esmeralde, voulant sauver sa peau. Kalim était si belle, si majestueuse que ce puissant gouverneur avait accepté de prendre sous son aile la jeune demoiselle. Il en fit son esclave personnel et la guida afin de devenir une des meilleures hôtesses du Kalédioscope. C'était ça ou subir le courroux du maître. Bien sûr, elle avait voulu s'échapper, elle avait voulu se passer la corde au cou mais les gardes la rattrapaient toujours avant la fin. Finalement, elle était devenue une poupée que les hommes autant que les femmes, pouvaient manipuler, toucher sans qu'elle ne puisse dire mot. Une vie d'horreur qui ne lui plaisaient guère mais dont elle ne pouvait s'échapper.
Mais cette nuit là, elle n'avait pas prévu que cet homme soit un pactisant. Elle n'avait pas prévu l'impossible. Il faut savoir que toutes les femmes du Kalédioscope subisse un traitement qu'elles doivent prendre chaque jour pour éviter de tomber enceinte. Un traitement qui les rend, au fil des années stériles et incapable d'enfanter. Mais cet homme était assisté d'un monstre à qui il demanda l'horreur. La pire des choses qui pouvaient lui arriver était cette chose.
Vous devinez surement la suite... Kalim fut chassée du harem, mise à l'écart, elle qui avait eu, en tant que préférée, une vie sans manquer de rien, elle se retrouvait comme la pire des créatures. Ainsi, elle était là, toute tremblante sur un sol trop humide que pour accueillir un enfant.
L'enfant du démon. se disait elle tristement. Non, ce n'était pas de la tristesse, c'était de la colère. C'est alors que je suis apparu. J'avais ressenti cette hargne, cette sensation véritable. Elle les détestait. Lui. Son maître. Cet homme. Son père. Ce démon. Tous. Ils devaient tous crever au fond d'un trou comme elle crevait. La haine. C'est ce que je ressentais en elle. C'est tout ce qui la rattachait à cette vie.
Le corbeau noir que j'étais avait jeté son dévolu sur cette créature haineuse. Je volai jusqu'à elle et pris forme humaine. Un sourire en coin frôlait mon visage de malin. Elle me toisa, me détesta autant que les autres puis elle se mit à rire. Non pas un rire amusé, non pas de contentement mais un rire mauvais et malheureux. Un rire qui me fit même frissonner, moi, un Éternel.
Je suppose qu'elle avait compris ce que j'étais venu faire à ses côtés. Je suppose qu'elle savait qu'au fond, elle n'était plus vraiment humaine. La noirceur de son cœur l'avait emportée, même vivante elle n'aurait plus servi à rien. Elle n'avait plus envie de continuer et encore moins ainsi.
Je lui tendit ma flûte et lui expliqua ce qui allait suivre. Elle me fit promettre de garder un œil sur cet enfant. Bien qu'elle le détestait, c'était sa progéniture, ce qu'il resterait d'elle. Elle prit mon objet totem.
« Voici le gage de notre pacte,
désormais nous voilà lié par le temps de ta vie. »
Le mal était fait, elle était devenue mienne et réciproquement au pacte, j'étais devenu sien. Une sage femme vint l'aider à mettre au monde la créature hideuse qu'on appelait bébé. Elle resta alité une semaine de plus dans cette cave et puis elle reprit ses services comme une catin, loin du regard de son ancien maître. Moi, je la regardais de mon œil de corbeau. Elle usait parfois de mon pouvoir pour se transformer et voir un peu le monde comme elle aurait toujours voulu le voir. L'enfant, quant à lui, était bien caché dans la cave où sa mère allait le retrouver quand elle n'avait pas de clients. Elle n'avait jamais de sourire envers lui mais elle s'en occupait comme elle pouvait sans geste agréable. Aucun amour. A l'âge de ses trois ans, elle demanda la permission au maître de le vendre pour un petit prix sur le marché noir. Elle ne voulait pas qu'il reste ici, elle disait qu'il n'était qu'un frein pour elle. La vérité, mes amis, c'est qu'elle ne voulait pas le condamner à la même vie. Une vérité qui lui faisait trop de mal.
Le maître accepta. L'enfant aux beaux cheveux bleus fut emmené sur le marché noir mais il ne fut pas vendu, il fut enlevé. Ce soir là était froid. Kalim espérait que cet enfant soit mort sans souffrance mais au moins, il n'aurait pas à vivre son calvaire. Elle réussit à se donner la mort ce soir là. D'un simple geste avec un simple couteau proche de sa gorge trop fragile.
Utilise-moi comme tu le souhaites.
Je n'en avais pas envie. La vérité c'est qu'elle me dégoûtait. Je n'avais pactisé avec qu'elle que par envie de voir jusqu'où sa haine la mènerait. J'étais très déçu. Aucun acte n'avait prouvé cette haine violente. Aucune vengeance. Juste de la satisfaction dans le décès. Une véritable déception.
Je partis donc d'Esmeralde. Je rencontrai d'autres âmes perdues que j'ai convaincu de pactiser cependant, quelque chose me donnait envie de retourner dans cette ville quelques années plus tard. Un flair, une impression. Une vérité qui m'avait échappée. Cela me conduisit à un cirque placé à l'entrée de la ville.
Alors qu'ils allaient entrer sur scène, je m'installai parmi les badauds pour regarder cet étrange spectacle. C'est là que je le vis parmi les artistes, un petit bout à peine âgé de six ans. Je fus estomaqué. Le gamin de Kalim était là, debout sur un fil tendu en l'air et tenant un bâton pour rester en équilibre. J'eus envie de rire. Si mon instinct m'avait reconduit en cet endroit c'était
pour lui. J'en étais convaincu.
Je me suis présenté à cet enfant sous forme d'une hirondelle à l'aile cassée. Il m'a recueilli, soigné, choyé. J'ai pu observer sa manière de vivre, il était un membre d'une grande famille, un petit frère aux yeux de tous les gens faisant partie de la troupe. On lui enseignait les arts de la scène, quelques tours de passe-passe, des acrobaties. L'enfant allait bien et il avait des gens qui le chérissaient.
Un jour, l'oiseau que j'étais se mit à lui parler. Le gamin ne fut nullement effrayé, restant calme et gentil avec moi. Je ne suis pas certain qu'il a exactement compris ce que j'étais mais il m'écouta. Je lui parlai des Éternels, de ma mission en ce monde, et il resta là à écouter, bercer par l'histoire que je lui racontais. Lancé dans la vérité, je lui expliquai d'où il venait, son origine et encore une fois, il ne fut pas surpris. Il répondit simplement qu'on le lui avait déjà raconté, son histoire...
Marché noir, Solan, trois ans.Le marché noir venait d'ouvrir ses portes, un jeune enfant était montré sur le devant d'une petite estrade, endormi, sans doute drogué. Celui qui le portait criait fort :
ENFANT ESCLAVE! ESCLAVE! Les regards souriaient de façon malsaine et alors que le bonhomme hurlait ces mots, il reçu un caillou à la figure. Il avait alors placé l'enfant derrière lui, couché au sol. Une ombre fluide et rapide avait alors sauté d'un toit pour se retrouver proche de l'enfant et le prit ainsi dans ses bras. C'était Zasha. Elle fit un nouveau bond tout aussi extraordinaire que le premier et se mit à courir le plus vite qu'elle pu, passant de toit en toit pour échapper aux brigands qui pourraient la poursuivre. Une fois posée hors du marché noir, Joachim, son complice, l'avait rejoins pour observer le petit être.
En voilà un qui aura eu de la chance qu'on passe par là.
C'est ainsi que commença sa vie de saltimbanque, recueillis par sa bande d'amis, tous plus âgés que lui. Oh oui, l'enfant avait eu bien de la chance de les voir sur son passage car à partir de là, ils s'en occupèrent comme un frère.
Aujourd'hui.Solan a bien grandit, il a douze ans. Il mène une petite vie d'artiste de cirque avec ses amis mais quelque chose lui manque. Il veut devenir mage. A force d'avoir entendu toutes sortes d'histoires, d'avoir côtoyés certains de ces aînés partis à l'aventure après avoir récolté assez d'argent, il avait envie de lui aussi prendre son envol vers les villes proches de la capitale.
C'est surtout Zasha qui lui a mis ce rêve en tête. Il y a quatre ans, elle a décidé de suivre sa propre route, rêvant de devenir une mage. C'est elle qui avait vraiment pris soin du gamin. Elle s'en était occupé comme une mère jusqu'à ce qu'elle ait assez d'argent que pour suivre sa propre voie. Elle lui avait fait promettre de la rejoindre à la Tour des mages. L'enfant avait alors promis.
Une promesse qu'elle ne saurait tenir mais je ne lui ai pas dit. Je tiens cette vérité pour moi car il ne m'a jamais posé la question. Cet enfant, je l'ai regardé. Je le regarde encore. Il est spécial. En réalité, je ne sais pas ce qui me lie à lui. Pourquoi je tiens tant à sa réussite. La vérité pour un Éternel est bien compliquée à entendre... Je pense simplement que je me suis attaché à ce gamin.
Je n'ai pas pactisé avec lui. Il a reçu mon artefact, mon totem, ma flûte. Il peut m'appeler à n'importe quel moment avec cet objet, je serai toujours là. Jusqu'à ce que je décide que ça change. Ma vie s'écoule bien tranquillement maintenant que je suis à ses côtés. J'apprécie cette liberté certaine mais je sais qu'un jour je serai rappelé à l'ordre. Ce jour là, je devrai surement abandonné ce petit et ses idées pour me confronter à lui, à ses grands yeux bleus mouillés. Je souhaite que cette échéance n'arrive jamais. Mais je n'aime pas me mentir. Je sais que cela arrivera bien trop vite...
Alors pour l'instant, je me contente d'être libre avec lui. Nous partirons bientôt vers la Tour des mages. Il tiendra sa promesse,
sans elle mais avec moi.